lundi 14 janvier 2013
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Nuage des mots-clés liés à « lobbying » au sein
des interventions de NosDéputés.fr (depuis 2007)
et NosSénateurs.fr (depuis 2004)
CC-BY-SA à partir de données ODBL

« Appliquer à nous-même la transparence que l’on exige des élus et lobbyistes », c’est l’une des règles centrales autour desquelles fonctionne Regards Citoyens depuis sa création. C’est en application de ce principe que nous rendons publics chacun des argumentaires et plaidoyers que nous communiquons aux élus, et que nous publions sur ce blog des compte-rendus de nos différentes auditions.

Le Vice-président Christophe Sirugue, Président de la Délégation chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études pour la 14ème législature, a été chargé par le Président de l’Assemblée nationale d’animer un groupe de travail sur l’ouverture et la transparence du Palais Bourbon, et notamment sur la présence et l’organisation du lobbying. Dans le cadre de ces travaux, il nous a conviés mercredi 19 décembre à une audition afin d’échanger sur les évolutions possibles du registre des représentants d’intérêts en vue d’améliorer la transparence au sein de l’Assemblée.

Cette audition a été l’occasion de partager avec le député, sa collaboratrice parlementaire et une administratrice du Bureau, notre expérience de l’observation du lobbying à l’Assemblée, acquise notamment autour de NosDéputés.fr et de l’étude que nous avions menée avec Transparence International France sur les personnes auditionnées dans le cadre de rapports parlementaires.

Le lobbying : par qui, comment, pourquoi ?

Le lobbying, c’est-à-dire la défense argumentée de positions auprès des décideurs publics, est à notre sens inhérent à toute démocratie dans la mesure où chacun est en droit de défendre son opinion et de la faire valoir auprès de ses représentants. Au sein de Regards Citoyens, nous n’avons ainsi pas une définition morale du lobbying, au sens où certaines influences seraient intrinsèquement bonnes (celles des ONG, des associations, …) et d’autres fondamentalement néfastes pour la société. Seules nous semblent condamnables les opérations d’influence réalisées par le biais d’accès privilégiés aux élus, ou sous l’influence de conflits d’intérêts ou d’actes de corruption. Notre définition du lobbying est plus inclusive et englobe toute personne prenant contact avec un décideur public afin de faire valoir une opinion ou influencer une prise de décision publique. Elle inclue donc une large gamme d’acteurs : les entreprises publiques ou privées, les groupement d’entreprises, les associations, les ONG, les avocats, les experts, les citoyens, …

Cette définition repose sur le principe que toute opinion doit pouvoir être défendue. Le parlement doit donc veiller à ce que le recueil des avis soit le plus pluraliste possible et l’institution doit veiller à trouver des mesures pour contrebalancer les inégalités de moyens déployés par les différents types d’acteurs. La transparence sur l’ensemble des points de vue entendus par les décideurs publics est par ailleurs indispensable pour pouvoir assurer une réelle traçabilité de la décision publique et identifier l’empreinte législative de chaque opinion.

Le registre : utile aux députés comme aux citoyens

En partant de ce principe, nous pensons que le registre des représentants d’intérêt peut être un excellent outil afin d’assurer à la fois le pluralisme pour les députés, et la transparence pour les citoyens, mais il faut pour cela le rendre strict et incontournable. Du fait de son intérêt aujourd’hui limité — chacun pouvant parfaitement faire valoir ses opinions auprès des parlementaires sans s’inscrire au registre — il ne reflète pas la diversité des points de vue exprimés lors d’un processus législatif. Alors que nous avions recensés lors de notre étude avec Transparence International plus de 4 000 entreprises, associations ou syndicats auditionnés dans le cadre de rapports parlementaires sur 3 ans, le registre n’en recensait alors que 124.

Faire évoluer statutairement le registre de la situation d’outil de promotion de quelques lobbyistes dont la sélection est opaque, vers un outil d’information pour les députés et les citoyens serait une grande avancée.

Le registre des représentants d’intérêt devrait donc contenir non seulement l’identité des représentants d’intérêt et de ceux qu’ils défendent, mais également des informations sur les moyens financiers mis en oeuvre dans leurs activités de lobbying, les thèmes suivis ainsi que les dossiers législatifs traités les années précédentes. Pour éviter les lourdeurs administratives, un délai de quelques semaines pourrait être toléré entre la première démarche d’un représentant d’intérêt et son inscription dans le registre.

L’Assemblée doit encadrer les lobbyistes et leurs relations avec les députés

donnees-lobbies-consultation-uk
Exemple de données publiées par le gouvernement
du Royaume-Uni sur les intérêts représentés
autour d’une consultation sur les formats ouverts
CC-BY-SA à partir de données OGL du CabinetOffice

Si l’inscription à ce registre doit être simple et son contenu rendu accessible à tous, il doit également être associé à des obligations :

  • celle des représentants d’intérêt de respecter le code de conduite de l’Assemblée et de mettre à jour au moins annuellement les informations fiables et détaillées sur les dossiers législatifs suivis et les moyens mis en oeuvre ;
  • celle du personnel de l’Assemblée et des collaborateurs parlementaires de rencontrer dans le cadre de dossiers législatifs uniquement des personnes inscrites dans le registre.

Le non-respect de ces obligations ou la découverte d’informations manquantes ou maquillées, entraineraient le retrait du registre pour 12 mois des représentants concernés et la publication détaillée de cette décision.

Les administrateurs et les collaborateurs parlementaires étant des personnes essentielles dans le processus législatif, la seconde obligation permet de transformer le registre en un véritable outil de régulation des activités d’influence. Le non-respect par des représentants d’intérêt de leurs obligations éthiques ou de transparence reviendrait à rendre leurs activités d’influence inopérantes sans pour autant atteindre aux libertés inhérentes au statut des parlementaires.

Audacieuse, cette proposition de réforme placerait l’Assemblée en pointe des innovations démocratiques encadrant le lobbying à travers le monde : au Québec ou au Parlement Européen, qui disposent de registres d’intérêt parmi les plus encadrés, ces pratiques se développent ainsi progressivement et naturellement chez un nombre croissant de parlementaires.

Des données nécessaires à la vérification du registre

Afin de pouvoir permettre à chacun de vérifier le contenu du registre ou de détecter des omissions, il est nécessaire que l’Assemblée assure par ailleurs une réelle transparence de l’activité des lobbyistes au sein de son institution en publiant systématiquement en OpenData :

  • la liste datée des personnes auditionnées dans le cadre de rapports parlementaires ;
  • la date de visite et le nom de toute personne ayant accédé à l’Assemblée pour toute autre raison qu’une visite touristique du Palais ;
  • la liste des conférences et colloques accueillis par l’Assemblée, ainsi que les intervenants, les organisateurs, les financeurs et le budget de chaque évènement.

Il serait par ailleurs judicieux de publier en annexe de chaque rapport la documentation produite par les différents représentants d’intérêts.

Le lobbying étant source de nombreuses incompréhensions parfois fantasmagoriques, il nous semble que ces dispositions pourraient permettre au citoyen de mieux comprendre l’effet réel du lobbying sur la prise de décision au sein de l’Assemblée.

Nous pensons de plus que certaines mesures complémentaires pourraient permettraient de contrebalancer certains préjugés sur les parlementaires souvent peu fondés :

  • publication de la liste des collaborateurs de tous les députés (souvent accusés d’être lobbyistes ou membres de leur famille) ;
  • interdiction faite aux parlementaires de recruter, même à titre bénévole, un lobbyiste.

La transparence : au-delà du registre des représentants d’intérêts, les votes

La mission de Christophe Sirugue visant plus largement à proposer au Bureau de l’Assemblée des réformes générales en matière de transparence, nous avons également présenté les propositions de la déclaration internationale pour l’ouverture et la transparence parlementaire, désormais signée par 109 organisations dans 73 pays. Ce fut notamment l’occasion de pointer le grave manque de transparence concernant les votes individuels des députés. Nous avons pris le temps depuis de rédiger, puis de communiquer à M. Sirugue, une note détaillée sur cette question accompagnée de nos suggestions pour assurer enfin la transparence des scrutins.

Cette rencontre nous a enfin permis de discuter de NosDéputés.fr : Christophe Sirugue a saisi l’occasion pour nous remonter une anomalie concernant la pertinence de certains des mots-clés que nous lui attribuons. Le problème, lié au traitement des interventions des présidents de séance, a été corrigé suite à notre rencontre.


2 réponses à “Réforme du lobbying et de la transparence à l’Assemblée nationale : compte-rendu de notre audition”

  1. […] des scrutins publics auxquels ils participent soient rendus publics à tous. Il doivent également refuser de rencontrer des lobbyistes absents du registre officiel. C’est la condition nécessaire pour que tous les lobbyistes – think tanks, […]

  2. […] des scrutins publics auxquels ils participent soient rendus publics à tous. Il doivent également refuser de rencontrer des lobbyistes absents du registre officiel. C’est la condition nécessaire pour que tous les lobbyistes – think tanks, industriels, ONGs […]

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