jeudi 17 mars 2011

Les députés peuvent-il légiférer et contrôler le gouvernement seuls sans interroger les acteurs concernés par leurs réformes ? 577 individus, même élus du peuple, ne peuvent pas tout connaître des sujets sur lesquels l’Assemblée nationale se penche. Il est donc logique qu’ils interrogent et questionnent des acteurs publics et privés, syndicats ou associations. Mais qui auditionnent-ils donc ? Avec quels « experts », lobbyistes, représentants d’intérêt sont-ils en contact ? C’est pour répondre à ces questions que nous mettons à disposition, avec Transparence International France, une analyse et une application sur le lobbying.

3 000 internautes pour numériser 15 000 personnes auditionnées

Comme à notre habitude, nous sommes partis de documents publics : les 1 250 rapports parlementaires publiés entre juillet 2007 et juillet 2010. Ces rapports incluent régulièrement, en annexe, une liste des personnes auditionnées. Avec l’aide de plus de 3 000 internautes, nous avons référencé 15 000 individus intervenus lors de 9 000 auditions. Ces personnes représentaient au total près de 5 000 organisations.

Des chiffres bien différents des 130 organisations référencées dans le registre des lobbyistes tenu par l’Assemblée nationale. Cela pose un sérieux problème quant à la transparence de l’activité d’influence, si souvent critiquée. Autant les députés ont besoin d’interroger les acteurs impactés par leurs projets de loi, autant les citoyens ont le droit de savoir quels sont ces acteurs.

Le secteur public globalement plus écouté, le secteur privé se focalise sur certains thèmes

Toutes les données collectées sur ces auditions, part importante du processus parlementaire pour les lobbyistes, ont donc été cartographiées afin d’obtenir une vision plus factuelle du travail d’influence qui s’y opère.

Il ressort ainsi que les parlementaires auditionnent pour leurs rapports majoritairement les organisations publiques (48,3 %). Viennent ensuite les organisations représentatives (20,9 %), puis le secteur économique privé (16,4 %). La société civile n’est entendue qu’à hauteur de 7,5 %.

Nous avons également exploité les thèmes attribués par l’Assemblée à ses rapports. On peut noter que sur les thèmes « économie », « culture », « énergie », « internet », « médias » et « transports », le secteur privé (entreprises et leurs associations) est proportionnellement plus écouté. Les organisations représentatives (syndicats représentatifs, associations professionnelles, …) sont proportionnellement plus écoutées sur les thèmes traitant de l’agriculture, de la justice, des collectivités territoriales, des pouvoirs publics, de l’emploi et du sport. Enfin, les associations, fondations et ONG de la société civile sont plus écoutées que la moyenne sur les thèmes « femmes », « société », « anciens combattants » et « aide au développement ».

Le Parlement doit rendre le lobbying plus transparent

Le premier enseignement tiré de cette étude est la nécessité d’une plus grande transparence en matière de lobbying parlementaire : il n’est pas normal que seule une minorité de rapports des députés contienne la liste des personnes auditionnées (nous n’en avons trouvé que dans 38 % des rapports publiés depuis 2007). De même le registre des représentants d’intérêts devrait être révisé : il n’est pas normal qu’il ne recense que 130 organisations quand nous avons pu en dénombrer 5 000 durant ce travail.

Avoir un registre à l’image du travail effectif des parlementaires est dans l’intérêt de tous : sans transparence, le dialogue pourtant nécessaire entre les députés et la société pourra être suspecté de partialité. De plus, ce registre pourrait être un outil au service des députés : ils sont souvent désemparés face aux sollicitations des différents acteurs. Avoir un vrai registre qui encadre réellement les pratiques du lobbying, maintenue par l’institution, qui référence les groupes d’intérêt et leurs « expertises » devrait être le prochain défi à relever pour le parlement.

Comme pour toutes nos réalisations, en nous appliquant à nous même les principes de transparence que nous demandons aux institutions démocratiques, les outils et les données utilisés et créés dans le cadre de ce projet sont mis librement à disposition de tous sous licences libres.


5 réponses à “Même la face émergée du lobbying manque de transparence…”

  1. AB dit :

    Messieurs,

    1/ Votre travail suscite immédiatement davantage que du scepticisme.
    Vous développez une analyse sur la base d’une information qui, dans 64% est absente : ce n’est pas sérieux.
    2/ sans qu’il soit question de « chapelle » ou de « chasse gardée » (seulement de compétence…), il est étonnant qu’il n’y ait pas un seul juriste au sein de votre équipe : dans le cadre de ses études, un juriste est familiarisé au processus d’élaboration de la norme, de façon plus intime que le grand public. Cela aurait pu conduire, par exemple, à une modification de votre méthodologie (qui aurait pu consister dans la réalisation d’une enquête approfondie mais limitée à un échantillon, par exemple…).
    3/ Vos résultats semblent très éloignés des simples informations accessibles par voie de presse, qui font état d’un lobbying privé intensif. Votre « étude » aurait-elle pour objet véritable le maquillage de cette réalité, sous des apparences scientifiques ?
    4/ Il y a la loi et la façon dont elle est appliquée. Entre la lettre et son application, il y a souvent plus qu’un faussé. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce qui se passe sur les routes (l’application du code de la route).
    Ne pas prendre en compte cette réalité, qui est seule vécue par les concitoyens, revient à faire de la littérature, comme le Parlement…

    Quant à votre prochain sujet (qui élabore la norme finalement votée par le Parlement ?), il a déjà été très bien traité par des rapports parlementaires périodiques…

    Je vous en suggère un autre :
    – Combien coûte un parlementaire par mois et par an ?
    – Cela représente les impôts collectés auprès de combien de personnes (sachant que la TVA est le premier impôt de France) ?
    – Quel est le coût net d’un parlementaire pour la société (définir une méthodologie) ?

    Cordialement,

  2. […] publie le résultat de leur étude sur les lobbys à l’Assemblée Nationale, fruit d’un travail de crowdsourcing qui a mobilisé 3000 internautes volontaires. Voir la […]

  3. Roux dit :

    AB,

    Le fait que seul un faible pourcentage de rapports comporte des informations sur les auditions est un premier point propre à questionner la transparence du fonctionnement de l’influence à l’Assemblée. Pour autant, la masse de données retirée des seuls rapports présentant l’information est suffisante pour tirer de premières conclusions et de toute façon pour analyser en premier lieu la face visible de l’influence comme cela est expliqué dans notre étude.
    Notre association est constituée de bénévoles. Aucun d’entre nous en effet n’est juriste, mais il ne tient qu’à un juriste motivé de nous rejoindre et de participer à nos travaux.
    Notre étude ne vient pas en contradiction des informations publiées par les médias en général, elle vient apporter un regard sur la partie transparente de la question telle qu’étudiable à partir des informations publiées par le Parlement. Le fait que la représentation du secteur privé soit inférieure au ressenti pour un secteur ou un autre peut très bien mettre en lumière l’opacité des travaux relatifs à ces domaines précis. À chacun de s’en saisir et d’aller creuser plus encore !

    Pour ce qui est de votre suggestion finale cela n’est pas à notre programme. Le Parlement est un organe indispensable au bon fonctionnement de la démocratie représentative. Si des abus peuvent certainement être mis en lumière et corrigés, le budget général d’une telle institution n’est pas incohérent avec ses prérogatives d’une façon génèrale.

    Bien cordialement.

  4. Xa dit :

    Magnifique initiative, magnifique réalisation !

    Un reproche, qui n’en est pas vraiment un quand même, mais plutôt une suggestion, qu’on peut faire à l’étude est d’avoir inclus comme catégories de lobbistes les organismes publics et parapublics.

    Or il me semble, dès lors que c’est public et parapublics, cela relève d’un travail de consultation normal ds le cadre d’une coordination et d’une cohérence des politiques publiques entre elles. Mais peut on vraiment considérer que c’est du lobbing ? Certes les divers organismes publics sont extérieurs les uns aux autres, et peuvent avoir des intérêts de corps particuliers, mais pris ensemble ils forment la fonction publique elle-même, et n’y sont donc pas extérieurs collectivement.

    Il semble qu’il serait précieux (et simple à ajouter également) de mettre en option la possibilité de visualiser les choses sans cette catégories des « organismes publics et parapublics », afin d’avoir les 2 vues possibles, cad aussi la vue qui ne prend en compte que les influenceurs tout à fait extérieurs à la fonction publique prise globalement.

    Cela donnerait aussi une perspective significative si par lobbing on parle bien de l’influence EXTERIEURE aux entités publiques. On verrait par ex alors que le poids du privé est souvent de 50% ou plus encore. Tous les chiffres deviendraient très différents. Dans la présentation actuelle, l’introduction de la catégorie des acteurs publics semblent avoir un effet de DILUTION, qui finalement BROUILLE la représentation. Cela créé ainsi de la CONFUSION.

    Etant donné même le poids qu’a la consultation de ce type d’organismes, soit 48,3 % comme indiqué dans votre article plus haut, et comme permet de le visualiser l’étude, cela signifie que si on enlevait cet élément, la part de tous les autres types d’acteurs seraient doublée (en moyenne).

    Cela étant, j’admet et je considère moi m que LES DEUX REPRESENTATIONS seraient utiles et précieuses, car évidemment on doit aussi pouvoir inclure, en cas de besoin, la considération des organismes publics et parapublics. Et évoquer l’importance de la consultation des organismes publics ENTRE EUX est certes instructives et presque rassurante (car c’est rassurant de savoir que les parlementaires tiennent compte de l’existant pour légiférer).

    Mais pour donner une image, le fait pour le parlement de consulter ces organismes n’est pas différent du fait pour le siège d’une entreprise de consulter ses diverses unités de production, ses divers services etc. On n’irait pas dire ce faisant que les services font du lobbing auprès de la direction. Plus exactement, il est vrai qu’ils en font, qu’il y a là aussi une dimension d’influence, mais ils en font en tant que membres internes et non en tant qu’acteurs externes.

  5. […] publie le résultat de leur étude sur les lobbys à l’Assemblée Nationale, fruit d’un travail de crowdsourcing qui a mobilisé 3000 internautes volontaires. Voir la […]

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