mardi 13 juillet 2010

C’est avec une certaine joie que nous annoncions lundi la victoire de l’Assemblée nationale sur le Sénat dans le match qui les opposait depuis plusieurs mois sur la question des délégations de vote, et que vient finalement d’arbitrer le Conseil Constitutionnel. Avec cette décision, le Conseil réaffirme l’essence de l’article 27 de la Constitution alinéa 2 : « Le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». Cela peut sembler naturel mais en pratique, ce principe essentiel de la démocratie représentative est bien souvent mis à mal, comme le montre quotidiennement le Sénat par l’usage des délégations de groupe.

Le « projet de loi organique relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution » aurait du être rapidement adopté. Il vise simplement à appliquer une nouvelle disposition de la réforme constitutionnelle de 2008, permettant une forme de veto parlementaire sur les nominations réalisées par l’exécutif. Cela a notamment été mis en pratique ce matin pour la nomination du nouveau président de France Télévisions.

Relativement simple et ne consistant qu’en une poignée d’articles, ce texte déposé par le gouvernement le 3 juin 2009 a pourtant donné lieu à plus de 13 mois de débats avant de pouvoir être finalement promulgué. Pourquoi cela ? Parce que fidèle à ses habitudes, le Sénat refuse catégoriquement l’encadrement des délégations de vote. À 4 reprises, les députés ont voté un article interdisant la délégation pour ces votes. Mais à chaque fois, les sénateurs ont voté à la quasi-unanimité la suppression de cet article, sûrs de leurs arguments et comptant sur le soutien de leurs fraîches recrues au Conseil Constitutionnel. Les deux chambres campant sur leurs positions lors des deux lectures régulières, les parlementaires se sont retrouvés en commission mixte paritaire pour… prendre acte de leur désaccord. Une nouvelle lecture dans les 2 chambres a confirmé le désaccord, avant la lecture définitive par l’Assemblée, en faveur de laquelle le Conseil a finalement tranché.

Sur le fond, cette décision était prévisible. L’article 27 de la Constitution précise à son troisième alinéa que « La loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote ». Cela n’implique évidemment pas l’obligation d’autoriser les délégations, il est logique qu’une loi organique puisse également les interdire. C’est ce que rappelle cette décision, au grand dam des sénateurs qui vont désormais devoir mobiliser en commission pour assurer la représentativité de la Haute Assemblée lors des scrutins communs aux deux chambres.


Un exemple de vote
par groupe au Sénat

C’est une défaite certaine pour le Sénat, et elle ouvre la voie à une réflexion approfondie sur la validité des scrutins sénatoriaux au regard de la Constitution. En effet, comme nous l’expliquions dans de précédents billets, le Sénat pratique toujours le vote de groupe pour les scrutins publics, alors qu’il fut abrogé à l’Assemblée sous la présidence de Phillipe Seguin. Or le dernier alinéa de l’article 27 ajoute que dans tous les cas, « nul ne peut recevoir délégation de plus d’un mandat ». Lorsqu’une poignée de parlementaires vote en hémicycle pour la totalité des 343 sénateurs, ce dernier point n’est clairement pas respecté, laissant planer une sérieuse insécurité juridique sur les décisions sénatoriales.

En 1987, le Conseil Constitutionnel avait avalisé cette tradition, mais il avait aussi énoncé la condition selon laquelle la validité d’un tel vote serait remise en cause si des parlementaires signalaient que leur vote aurait été différent en l’absence de délégation, et si leur nombre était suffisant pour faire basculer le vote. Or la situation actuelle du Sénat, au sein duquel aucun groupe ne détient la majorité absolue, donne régulièrement lieu à de telles situations, comme l’avait illustré l’accident de vote du groupe centriste en décembre 2009.

Nous sommes convaincus du rôle crucial de l’article 27 pour encadrer et assurer le vote personnel des parlementaires au sein de notre démocratie. Et pour une meilleure représentativité des élus, nous pensons que certaines pratiques pourraient apporter aux citoyens plus de transparence sur les scrutins :

  • Comme l’Assemblée, le Sénat devrait s’engager vers une plus large responsabilisation des parlementaires en mettant fin aux délégations de groupe systématiques.
  • Dans le même esprit, il serait souhaitable que l’Assemblée publie nominativement les résultats de tous ses scrutins publics, au lieu des seuls scrutins solennels* : les citoyens doivent pouvoir connaître l’opinion de leurs représentants élus, et le scrutin public ne peut se limiter à l’expression d’un fait majoritaire au sein d’un groupe.
  • Enfin, pour éviter toute dérive, la publication des délégations de vote elles-mêmes devrait être mise en place, en mentionnant le nom du déléguant et du délégué, afin d’assurer aux citoyens la bonne application de la Constitution.

* Actuellement seuls les scrutins pris en application de l’article 65-1 du réglement sont entièrement nominatifs, les autres scrutins publics ne mentionnent que la position de chaque groupe, le nombre de votants au sein de ces groupes et éventuellement les noms des députés ayant voté différemment de leur groupe


6 réponses à “Le vote des parlementaires est personnel !”

  1. FrédéricLN dit :

    C’est une très bonne nouvelle, et je suis tout à fait d’accord avec les trois propositions finales.

  2. Inter dit :

    Pour une autre curiosité sur le fonctionnement de ces « scrutins publics » au Sénat, le compte rendu suivant, daté du 1er juillet dernier, mérite d’être lu : http://www.senat.fr/seances/s201007/s20100701/s20100701001.html#Niv1_SOM4

    (le vote mentionné dans cette intervention concerne un amendement de l’opposition, adopté la veille au soir à la surprise générale et malgré l’organisation d’un scrutin public)

  3. […] L’absence de publicité des votes et des délégations aurait besoin d’être revue, surtout au moment où l’on souhaite revaloriser le travail parlementaire et notamment le travail en séance (pour nombre de député-e-s, il est parfois très frustrant de n’être que « de permanence », c’est-à-dire siéger uniquement pour assurer la majorité). La publicité permettrait aux député-e-s d’assumer leurs votes, et que leur présence en séance soit inclue dans leurs statistiques d’activités agrégées par NosDéputés (qui a si mauvaise presse à l’Assemblée, notamment chez les député-e-s qui ne font rien). De même, réserver les délégations aux cas exceptionnels prévus par la loi organique et les rendre publiques, permettrait de mettre fin à cette course à la délégation qui n’apporte pas grand chose. Une réforme du règlement est cours, ces questions devraient donc revenir. C’est ce que porte depuis longtemps Regards citoyens. […]

  4. […] où le vote d’un sénateur pour tout son groupe est toujours possible, alors qu’il est contraire à notre Constitution. Be Sociable, Share! Tweet Tags:délégation de vote, scrutin public, […]

  5. […] sur la question de la transparence des votes et délégations de vote des députés. Au cœur du plaidoyer de Regards Citoyens de longue date, une telle réforme constituerait un véritable choc en matière de transparence de […]

  6. […] Ce changement serait une avancée importante en matière de transparence à l’Assemblée. Restera ensuite à s’attaquer aux scrutins du sénat, où le vote d’un sénateur pour tout son groupe est toujours possible, alors qu’il est contraire à notre Constitution. […]

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