jeudi 24 juin 2010

La semaine passée au Sénat, puis cette semaine à l’Assemblée nationale, le Parlement français a innové : pour la première fois, des débats de contrôle en séance publique plénière se sont déroulés en dehors des hémicycles. Mardi 15 et jeudi 17 juin, les sénateurs ont siégé quelques heures dans la salle Médicis pour discuter de l’application de la réforme de l’Hôpital puis des nanotechnologies. Du côté du palais Bourbon, les députés en séance ce mardi 22 juin s’en sont allés débattre du principe de précaution dans la salle Lamartine.

À cette occasion, le président de l’Assemblée Bernard Accoyer justifiait l’initiative en ces termes :

« La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat dans la salle Lamartine afin qu’il soit plus direct, plus vivant, plus spontané et ainsi plus fructueux.

On peut comprendre la démarche : ces salles étant plus petites et disposant de matériel plus moderne, les échanges y sont facilités. Mais il est symboliquement très surprenant de voir organiser des débats de plénière dans des salles de réunion, lesquelles ne peuvent acueillir qu’un nombre restreint de personnes, bien inférieur au total des parlementaires de chaque Chambre. À supposer que les 343 sénateurs et 577 députés aient souhaité assister à ces débats, il aurait alors fallu une bonne dizaine de ces « mini-hémicycles » ! Même si cette situation n’est pas souhaitable, le message passé auprès des parlementaires est clair : certains débats de plénière sont réservés à quelques dizaines d’experts.

Ainsi, à l’inauguration de cette pratique au Sénat, quelques sénateurs ont protesté :

M. Guy Fischer. – La Conférence des Présidents a décidé, à la majorité, que ce débat se ferait non dans l’hémicycle, mais ici. Pourquoi ? Nous nous y étions opposés et voulons le faire savoir une nouvelle fois, même si cela ne sert à rien. Rien ne justifie de conduire un débat dans cet hémicycle, surtout quand le premier est vide, sauf à conclure que certains sujets n’intéressent qu’un « petit hémicycle ».
Pourtant, l’avenir de l’hôpital et l’accès des femmes à l’IVG n’est pas un petit sujet. Nous vivons douloureusement cette forme de relégation, qui s’apparente à un affaiblissement de la démocratie parlementaire.

M. le président G. Larcher. – Ce n’est pas un « petit hémicycle », mais la « Salle Médicis ». Je vous renvoie au compte rendu intégral de la Conférence des Présidents du 27 avril et de celle du 19 mai : il ne mentionne pas de vote. Il y a eu un accord pour tenir, à titre expérimental, une séance plénière salle Médicis, avec tout le protocole attaché à la séance publique. Votre déclaration aurait davantage sa place en Conférence des Présidents.
M. Jean-Pierre Sueur. – Permettez à des parlementaires non membres de la Conférence des Présidents de vous poser la question : pourquoi tenir ici une réunion qui aurait pu se tenir dans l’hémicycle ? Y a-t-il deux statuts pour la séance publique ?

Cette situation inédite est l’une des conséquences prévisibles des réformes de la Constitution et du règlement : de plus en plus, l’essentiel du débat parlementaire se déroule en commission. Comme notre étude le montrait, les réunions de commissions, rarement publiques, ont vu un regain de participation depuis la réforme. À l’inverse, l’hémicycle, lieu central des débats accessible à tous, est progressivement déserté et tend à devenir une simple chambre d’enregistrement au sein de laquelle les votes défilent. L’organisation de débats de plénière à la façon des commissions dans des salles de réunion renforce cet état de fait et institutionnalise la désertion des bancs en hémicycle.

Si l’on peut comprendre ce choix, clairement assumé par la réforme du règlement de l’Assemblée et par les conférences des présidents, il pose le problème de la visibilité des travaux organisés dans ces conditions. Ces salles disposent bien de tribunes publiques mais elles ne peuvent malheureusement pas accueillir autant de visiteurs : les traditionnelles visites de groupe invités par un parlementaire ont déjà fait les frais de ces changements, se retrouvant privées d’assister à la séance publique.

Le parlement a la double tâche de participer à la création de la loi et de contrôler l’exécutif. Pour traiter la question du contrôle, les deux chambres expérimentent désormais la tenue de ces débats entre une poignée de parlementaires. En organisant encore un peu plus la désertion des hémicycles, les institutions n’acteraient-elles pas symboliquement leur impuissance à s’emparer de la question de l’absentéisme ? Quelle qu’en soit la réponse, ce sont les citoyens qui se retrouvent un peu plus exclus encore de ces débats.


10 réponses à “Le Parlement déserte ses hémicycles”

  1. […] This post was mentioned on Twitter by jean marc manach, taziden, bboissin, Laure Leforestier, Joly and others. Joly said: RT @LaureLef: a sélectionné «Le Parlement déserte ses hémicycles « Regards Citoyens» http://yoolink.to/9OW […]

  2. politis dit :

    Même si ce n’est pas la seule explication, il y a tout simplement trop de parlementaires et, de surcroît, trop de cumulards qui se désintéressent totalement du travail parlementaire pour privilégier le labour de leur circonscription en vue de leur réélection. A se demander si le mandat unique dans l’espace et dans le temps ne serait pas la solution. Nos parlementaires ne bossent tout simplement pas, sauf une poignée d’entre eux, qui se spécialisent sur qq dossiers, mais on peut estimer à à la louche que 300 députés et 150 sénateurs ont une utilité parlementaire et donc démocratique égale à zéro.
    L’examen des textes en commission est fondamentalement une bonne chose, mais il doit être fait dans les conditions d’une publité pleine et entière et en direct. La séance publique était déjà le lieu des grands discours pontifiants, mais techniquement au ras des paquerettes. Elle l’est un peu plus aujourd’hui.

  3. Béneix Anne-Marie dit :

    Malheureusement, c’est vrai !
    Puisque nos élus manquent tant d’imagination et d’engagement, je suggère que les élus soient dorénavant tirés au sort parmi tous les citoyens de notre société diversifiée. Nous aurions plus de variétés socio-professionnelles, plus de diversité dans les réactions, moins de perte de temps puisque les tirés au sort ne seront pas fatalement issus des partis. Ce serait aussi une démocratie, mais plus rigolote.
    Quand passe-t-on à la démocratie directe ? Les élus préparent les lois et le peuple les vote. Ainsi les manifestations de rue ou de banlieue se raréfieraient puisque vivant sur le terrain, nous avons conscience des difficultés.
    Alors que les élus des partis sont la cible des lobbies, (et gaspillent leur temps en entretien pour négocier leurs avantages), les élus « tirés au sort » ne pourraient plus être corrompus puisque leur mandat ne leur donne pas l’espoir d’être ré-élus !
    Rien que du bonheur pour les citoyens. Pensez éventuellement à mettre une limite d’âge puisque le Parlement doit préparer l’avenir !

  4. pepisa dit :

    Le parallèle est trop gros pour ne pas le soulever.

    L’hémicycle de l’assemblée nationale a pour particularité d’être orné d’une imposante tapisserie reproduisant une peinture de la renaissance italienne : l’école d’Athènes de Raphaël. On voit dans cette œuvre les philosophes grecs débattre, méditer, se reposer, tous réunis dans un même lieu. Nos parlementaires sont à l’image de l’école d’Athènes. « Tous » réunis dans un même lieu, ils débattent et méditent voire se reposent comme Diogène (ils dorment ou somnolent). On voit bien ici, avec le choix de cette peinture tout sauf anodin, la mise en forme esthétique de l’idéal parlementaire français. Un lieu de débat où tous se retrouvent guidés par la raison (ils n’ont d’ailleurs pas chômé sur les cours de rhétorique). Il s’agit bien sûr d’un idéal : le parlement universel. Universel, dans tous les sens du terme. Universel où tout le monde se retrouve en un lieu (l’hémicycle), universel où tout le monde pense également l’intégralité du Monde (tout le monde étant présent sur tous les problèmes).

    Aujourd’hui, cet idéal est remis en question par cette « désertion des hémicycles ». Pourquoi? La réponse est simple : nécessité est mère du changement. Pourquoi donc ont-ils éprouvé le besoin de quitter le lieu commun pour rejoindre une salle plus petite ? On peut par exemple suggérer le problème de l’absentéisme. Cependant, opter pour cette réponse implique directement que le parlement cherche à se protéger des citoyens. Pourquoi se terrer en l’absence de prédateurs? Cette ligne de pensée me semble exagérée. Après tout, des places restent libres d’accès. Pour la « théorie du terrier » c’est foutu, on est toujours là, moins nombreux peut-être, mais pas pour autant moins actif. Mais surtout, elle me semble passer à côté des vrais problèmes mis (un peu plus) en évidence par cette histoire. Pour ma part, j’en retiens deux : la complexité des débats modernes (Hadopi en est un exemple parfait) qui mettent à mal l’idéal de parlement universel et, comme cela est effectivement noté par tous, l’accès citoyen à l’espace parlementaire. Ces deux problèmes sont d’ailleurs les faces d’un même problème plus large : l’espace.

    Il y a en effet un problème d’espace, mais les limites en question ne sont pas forcément celles que l’on croit. Ce n’est pas la superficie de la salle ou le nombre de place qui est en question mais bien d’abord les limites du savoir d’un parlementaire face à la technicité des problèmes modernes. Tous ceux qui ont un peu suivi de près ou de loin les débats portant sur Hadopi se sont bien rendus compte que les aspects techniques inhérents au contrôle des téléchargements dépassaient tout simplement bon nombre de députés (voir l’histoire du web 2.0). Une fois n’est pas coutume, dans cette peinture, on notera que Platon et Aristote sont seuls à débattre, comme si la profondeur des débats entre les deux maîtres n’était tout simplement pas accessible aux autres. La petitesse de la salle reflète la restriction des débats aux députés « spécialisés ». Moins d’espace, moins de personnes, plus de « savoir sûr ».

    Le problème d’espace est aussi à comprendre comme celui de l’accès aux images. Il est grand temps que les caméras montre tout l’hémicycle (ou les salles), pas seulement les discours mais ce qui se passe en arrière-plan. D’une certaine façon, c’est seulement par l’utilisation de la technologie moderne que l’accès citoyen aux débats peut être garanti (cela ne revient bien sûr pas à dire que la présence physique d’un citoyen en séance n’est pas souhaitable, et on peut effectivement regretter cette perte physique de place). L’idéal est de pouvoir voir de Marseille l’activité parlementaire comme si on se trouvait à Paris dans l’hémicycle ou dans une salle du parlement. La technologie le permet, qu’attendons-nous!

    Ce changement reflète la fin d’une vision de l’idéal universelle. Il n’est plus possible pour un député de prendre également part à tous les débats (peut-être, sans doute, cela n’a jamais été le cas).

    La fin d’une vision seulement, car on peut encore défendre l’universel en modernisant l’accès à l’espace parlementaire. Suggestion pour un nouveau moto citoyen : Le parlement moderne s’invite chez vous. Il s’invite chez soi, mais surtout (contrairement à maintenant) il n’a rien à cacher… Longue vie à la possible future « Ecole de Paris »… ?

  5. Ejy dit :

    Où comment se noyer dans un dé à coudre …
    La solution est simplissime. 24 sénateurs métro selon le projet à 12 régions de la commission Balladur (2 par régions). Environ 200 députés à raison de 2 en moyenne par département. Au passage, supprimer le territoire de Belfort (91) et les départements de la première couronne (meilleure cohérence avec le Grand Paris …).

  6. Meriau dit :

    Vous dites:
    « Si l’on peut comprendre ce choix, clairement assumé par la réforme du règlement de l’Assemblée et par les conférences des présidents … »
    En ce qui me concerne, je n’assume pas .

    Voir sur mon blog http://www.mediapart.fr/club/blog/Denis%20Meriau
    le rétro-journal des débats de 2003 à l’Assemblée nationale sur les retraites.

    Jamais le travail en commission ne pourra produire les effets ( je parle des « effets de sens » et pas seulement des « effets de tribune » – encore qu’ils donnent vie/chair/cœur à la loi) de la séance dans l’hémicycle

    Voir aussi les différents articles regroupés sur mon autre blog :
    « À quoi servent les débats de l’Assemblée nationale ? »/ http://karlcivis.blog.lemonde.fr/) :

    TEXTE FONDATEUR : La réforme du travail parlementaire_bonjour l’ennui ?

    S.O.S. Parlement !

    Une Assemblée pour débattre … Oui, mais à quelles conditions

    Non, M.Balladur, nous n’avons pas élu un corps de controleurs_chronique_lemonde.fr (2.06.10)

  7. FV dit :

    En termes de publicité, les compte rendus des séances des commissions sont rendus publics et accessibles sur le site de l’Assemblée, au même titre que les compte rendus des séances publiques. A partir de là, la possibilité d’assister aux unes et pas aux autres ne fait pas une grande différence.

  8. Roux dit :

    @FV : Comme nous avons essayé de le montrer avec notre live-tweet des débats de la Loppsi en février dernier, assister à une séance depuis les tribunes publiques plutôt qu’en lisant le compte-rendu ou même en regardant le flux vidéo, apporte d’innombrables éléments complémentaires nécessaires à la compréhension du bon déroulement d’un débat législatif.

  9. […] changement n’a pas échappé au collectif regards citoyens, qui suit le travail des parlementaires (et édite le site […]

  10. […] changement n’a pas échappé au collectif regards citoyens, qui suit le travail des parlementaires (et édite le site […]

Laisser un commentaire

*

Regards Citoyens est fièrement propulsé par WordPress

Contenu sous Creative Commons License sauf mention contraire.

Mentions légales - Contact Presse