vendredi 28 juin 2019

Le Conseil d’État vient de rendre sa décision sur notre demande de transparence des frais de mandat aux députés de la précédente législature. Camouflet pour la CADA et le tribunal administratif de Paris dont les analyses sont balayées, cette décision s’avère également une douche froide pour la transparence de la vie publique. Souveraineté nationale, circulez, il n’y a rien à voir !…

En mai 2017, nous avions sollicité, avec le soutien de près de 300 citoyens, tous les députés de la 14ème législature pour leur demander communication des relevés de leurs comptes bancaires dédiés aux frais de mandat et des déclarations sur l’honneur de bon usage de cet argent public. Une dizaine de parlementaires avaient alors répondu favorablement et fait acte de transparence. Face aux refus des autres députés, nous avions alors entamé un marathon judiciaire dans l’espoir de faire évoluer positivement la transparence sur les frais de mandat.

Accès aux documents administratifs parlementaires : le juge administratif et la CADA compétents

Durant ces deux années de procédure, nous avons du nous défendre face à des arguments juridiques contradictoires : dans un premier temps, la CADA a jugé que notre demande ne pouvait aboutir car les députés ne seraient pas chargés d’une mission de service public. Plus d’un an plus tard, le tribunal administratif de Paris écartait ces arguments, tout en se déclarant à son tour incompétent, sur le fondement cette fois de la « séparation des pouvoirs ». Quant à l’Assemblée nationale (qui a pris en charge financièrement la défense des députés), ses conseils n’ont eu de cesse de changer de défense sans que leurs arguments soient réellement jamais repris.

Notre pourvoi en cassation associé à une demande de Question Prioritaire de Constitutionnalité a permis au Conseil d’État de clarifier la situation. Sa décision publiée le 28 juin balaie les analyses juridiques de la CADA et du tribunal administratif de Paris (TA) et clarifie le statut des documents produits ou reçus par les députés au regard du droit administratif. Au vu des missions de service public des députés et du Parlement, la haute juridiction administrative confirme que la CADA et le TA sont parfaitement légitimes à se prononcer sur une demande de communication de documents administratifs parlementaires, validant ainsi les arguments que nous défendions sur ce point : la séparation des pouvoirs ne saurait s’opposer à la transparence démocratique.

Souveraineté nationale, l’ultime argument pour protéger l’opacité des députés ?

En revanche, sur le fond, la décision du Conseil d’État est plus inquiétante : sans que l’argument soit étayé dans sa décision, ni dans les conclusions prononcées par la rapporteure publique, le Conseil d’État estime que la communication de ces documents doit s’analyser au regard de la souveraineté nationale. Le statut de député est avancé ici comme une forme d’écran empêchant aux citoyens l’accès aux dépenses des députés. En effet, le Conseil d’État estime que puisque les frais de mandat sont destinés à couvrir des dépenses liées à l’exercice du mandat de député, ils se rattachent à leur statut de députés, et relèvent donc de l’exercice de la souveraineté nationale, écartant de fait toute obligation de transparence et de redevabilité. Reposant ainsi sur ce seul argument d’autorité, cette décision est une nouvelle atteinte au droit de savoir assez alarmante.

Elle met en effet en danger le cadre juridique, déjà très bancal, de la gestion de l’argent public alloué aux députés : si le statut du député empêche les citoyens de connaître de l’usage fait des deniers publics, en est-il désormais de même lorsqu’un différend émerge de l’usage de ces ressources ? Le conseil des prud’hommes pourrait-il se voir opposer le même argument de souveraineté nationale lorsqu’il juge des différends entre un député et ses collaborateurs ? Les tribunaux sont-ils toujours aptes à arbitrer du conflit entre un député et le propriétaire de sa permanence parlementaire ?

En affirmant la compétence du juge administratif en ce qui concerne la communication de documents relatifs aux frais de mandat, tout en opposant ensuite le statut de député comme un écran opaque à la communicabilité de ces documents, le Conseil d’État entérine une situation absurde par laquelle l’exercice d’un droit constitutionnel ne trouve pas d’application légale. Nous allons donc voir avec notre avocat, Maître Olivier Coudray, quelles suites donner à cette action, par exemple devant la Cour européenne des droits de l’homme, pour parvenir à rendre effectif le droit de chacun à la transparence de l’usage de l’argent public par les députés et au sein du Parlement.

Résumé des étapes précédentes :

  • 15 mai 2017 : Envoi de la demande d’accès aux documents administratifs auprès des 574 députés concernés.
  • 8 juillet 2017 : Dépôt de 567 recours auprès de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs pour les parlementaires ne nous ayant pas répondu, ou ayant répondu par la négative.
  • 23 novembre 2017 : Réception du premier avis de la CADA, qui se déclare incompétente pour traiter notre demande.
  • 15 mai 2018 : Dépôt d’un recours auprès du Tribunal Administratif de Paris pour les 567 parlementaires concernés.
  • 6 décembre 2018 : Le Tribunal Administratif de Paris se déclare incompétent.
  • 6 février 2019 : Pourvoi au Conseil d’État.
  • 17 juin 2019 : Audience au Conseil d’État.
  • 27 juin 2019 : Décision du Conseil d’État.

16 réponses à “La souveraineté : le nouvel argument d’autorité pour refuser la transparence des frais parlementaires”

  1. Vergnolle François dit :

    Bravo pour tout ce travail

    On continue même si la tête des Français est plus au foot et aux vacances

    Qu a l’exigence d’etre Un peu informé de ce qu’on fait de leur argent

    Comment cela se passe dans les autres pays de l’U E

  2. JLouis dit :

    bonjour,
    c’est effarant, faites savoir ces « arguments »
    je ne manquerais pas de les diffuser autour de moi.
    vivement une 6éme république..sociale et écologique.
    bien à vous
    JL

  3. Maniglier dit :

    Merci à vous pour ce travail..
    Nous devons changer ces mentalités des députés ainsi que de tous les appareils
    D’etat .
    Se croire plus souverain que le peuple ?!?!
    Je pense pouvoir dire que NOUS en avons assez !

  4. Leo dit :

    Merci pour ces nouvelles même si elles ne sont pas encourageantes voire inquiétantes.
    Votre travail et votre ténacité sont admirables et nous honorent.
    De tout cœur avec vous plus que jamais, ne lâchez rien!

  5. MGodard dit :

    Merci à vous tous
    Mais je me dis qu’il faudra beaucoup de temps et de travail pour que nos Élus se sentent concernés par le transparence des mandats parlementaires si facile de piocher dans les caisses de l’état Vivement la 6 République

  6. Dominique Hubert dit :

    Continuons le combat

  7. Golfenberg dit :

    Croyez-vous que la 6ème République modifierait ou empêcherait les turpitudes de certains parlementaires ?

  8. Patrick dit :

    Bonjour,
    C’est une forme de victoire mais bon ça va pas loin et après qu’est-ce qu’il va se passer des années et des années de procédure judiciaire qui vont coûter plus cher à l’État donc avec nos impôts pour payer les frais de justice que ce qu’ils ont tapé dans la caisse.
    Il serait peut être plus simple d’éduquer les jeunes que de vouloir condamner les anciens.
    Votre action fait très @gilet jaune » de base et c’est un peu pathétique de dépenser autant de temps d’énergie Et de fric pour si peu.
    Je préfère réfléchir à comment trouver une solution avec la dette, les dettes.
    Bonne chance.

  9. Luca de Paris dit :

    Les politiciens invoquent la souveraineté nationale (comme le député Jean-Luc Mélenchon disant : « Personne ne me touche, ma personne est sacrée, je suis parlementaire », « la République, c’est moi, c’est moi qui suis parlementaire ») qui s’oppose en l’occurrence à la souveraineté populaire, qui seule fait la démocratie.

  10. baradat dit :

    Bravo pour votre travail,il faut continuer.
    nos élus on des comptes a rendre,leur travail et l’utilisation de nos deniers doit étre une maison de verre,
    c’est incroyable de constater l’incompétance des services quant il s’agit de controler et diffuser ces informations

  11. pietrowski dit :

    … il est bien clair que nous avons en face de nous des gens biens entraînés, rompus à ce sport méconnu du commun des mortels, et qui consiste à se goinfrer sur le dos des autres sans vergogne, toute cette technostructure étatiquo politiquo juristiquo journalistiquo financière n’est là que pour gérer sa propre existence et la transmettre à leur propre decendance, ils sont là depuis des siècles et pour des siècles encore … et ce n’est pas une blague en plus !

  12. Lester dit :

    Bravo pour votre travail et votre pugnacité 🙂

  13. Félicitations pour toutes vos démarches.

    En espérant qu’elles aboutissent un jour…

  14. Albert dit :

    Si les élus étaient en grande majorité des gens qui voyaient l’intérêt collectif avant le leur, ce genre de chose n’arriverait pas. Ils feraient tout pour limiter leurs frais. Enfin, comme ils sont traités comme des pachas, ils veulent le rester; logique !

  15. Fromentin dit :

    Une décision rugueuse mais logique.

    L’exercice du mandat parlementaire se rattache à l’exercice de la souveraineté nationale et non, à des prérogatives de l’administration.

    En d’autres termes, c’est vers une évolution législative que renvoie le Conseil d’Etat, et on doit hélas douter que les députés votent une telle loi.

    Peut être envisager un recours CEDH ?

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